Un pas en avant avec un artisan du changement :
George Sully
PHOTOGRAPHIES DE NORMAN WONG
De la composition musicale à la conception de chaussures, le designer et entrepreneur torontois George Sully a touché à tout. Mais son projet le plus important à ce jour est sans contredit d’offrir aux créateurs noirs l’occasion de briller sous les projecteurs.
Ses articles coups de cœur →Grâce à son savoir-faire de designer de chaussures et à ses multiples autres talents créatifs, George Sully n’a pas tardé à connaître le succès — il a été intronisé deux fois au Bata Shoe Museum, ses collections éphémères de chaussures sport Sully & Son Co. se vendent comme des petits pains chauds et il conçoit des modèles pour les plus grands noms de la télé et du cinéma (c’est à lui que l’on doit les bottes des membres de la Starfleet dans Star Trek : Discovery). Pourtant, malgré toutes ces réalisations, la reconnaissance et la couverture médiatique continuaient de lui échapper. « Comme bien d’autres designers noirs, j’ai été marginalisé. Mais j’ai réussi à toucher le fameux plafond de verre, même s’il m’empêchait d’aller plus haut », nous confie le natif d’Ottawa. Il décrit cette situation comme « créer dans l’obscurité ». « Lorsqu’aucune occasion ne se présente à soi, on ne peut jamais sortir de l’ombre », explique-t-il, « mais nous, les designers noirs, avons encore la volonté de créer et le désir de réussir, alors nous poursuivons nos efforts dans une faible lumière et nous avons appris à réaliser du bon travail dans l’obscurité. Maintenant, imaginez ce que nous pourrions accomplir en pleine lumière. »
« Nous avons appris à réaliser du bon travail dans l’obscurité. Maintenant, imaginez ce que nous pourrions accomplir en pleine lumière. »
L’ombre représente évidemment le racisme systémique, une force qui a longtemps empêché les créateurs noirs d’avoir leur place sur les présentoirs et dans les médias. « C’était comme le monoxyde de carbone : quelque chose d’invisible et d’intangible qui nous asphyxiait », ajoute George Sully. « Maintenant, tout le monde le voit, tout le monde le sent. C’est quand on reconnaît l’existence d’un problème qu’on peut enfin le régler. » George Sully a choisi de faire partie de la solution en créant Black Designers of Canada>, un répertoire de magasinage pour des marques d’entrepreneurs noirs et des griffes de designers noirs hautement convoitées. Aujourd’hui, autant les stylistes que les journalistes et les acheteurs peuvent voir cette multitude de gens talentueux au grand jour. George Sully s’est également allié à la Charte pour le changement La Baie d’Hudson>, une décision qu’il a prise en partie pour son fils, Adrian. « Il doit savoir que les contributions de son père ont compté. »
Quel a été le point de bascule pour vous? Quand avez-vous su que vous deviez tout interrompre pour mettre sur pied Black Designers of Canada?
Un changement s’est produit tout à coup. Au printemps 2020, tout le monde était confiné à la maison et les gens ont eu le temps de réfléchir à ce qui est arrivé à George Floyd, à Breonna Taylor et à Ahmaud Arbery et de se remettre en question, d’arrêter de parler et de vraiment écouter. Je me suis dit qu’une occasion en or se présentait à moi et que j’allais la saisir et faire les choses dans les règles de l’art pour obtenir le meilleur résultat.
La question « est-ce que c’est suffisant ou assez bon? » sert en quelque sorte d’excuse pour ne pas embaucher des talents noirs. Mais vous croyez que le plus simple dans tout ça, c’est d’atteindre l’excellence — pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
Personnellement, je n’ai jamais essayé d’être excellent, j’ai seulement essayé d’exister comme tout le monde. En fait, quand je voyais quelqu’un profiter d’une occasion ou réussir quelque chose, j’avais l’impression qu’il me faudrait plusieurs tentatives et beaucoup plus d’efforts pour arriver au même point. On se fait de la corne, on se fait du muscle, bref on développe ce que d’autres n’ont pas eu à développer grâce à leurs privilèges ou leur statut. Alors, ce n’est pas qu’on essaie d’être excellent, mais on le devient à force de travailler d’arrache-pied. C’est de là que vient notre excellence.
Vous avez instauré un prix d’excellence pour les designers noirs afin de créer un cercle vertueux à la place d’un cercle vicieux de défaites. Avez-vous eu des échos de l’importance que ce prix a pu avoir pour les créateurs?
Il y a eu un déluge de réactions. Vous savez, ce n’est pas toujours une question de ventes, mais de reconnaissance, et c’est pourquoi j’ai créé ce prix. Nous n’allons pas attendre qu’une autre entité nous dise : Vous avez été consacré! Vous comptez! Parce que l’excellence est déjà là.
« On ne devient pas cool en portant du noir. Il se trouve simplement que je suis cool et que je porte du noir. »
House of Hayla> est reconnue pour son style distinctif et ses emblématiques escarpins monochromes. Comment avez-vous réussi à garder le cap alors qu’il n’y a pas eu tellement d’occasions de porter des talons hauts dans la dernière année?
C’est vrai, hein? Pourquoi acheter des chaussures à talon de 10 cm quand on reste assis à la maison toute une année? Eh bien, un mot suffit : Instagram. Nos ventes n’ont simplement pas bougé. Nos clientes ne pouvaient pas se retenir, parce qu’elles avaient besoin d’une nouvelle tenue à exhiber sur Instagram. Peut-être voulaient-elles montrer que la vie est encore belle : Regardez-moi, vêtue d’une jolie robe et de talons hauts jaunes devant chez moi — dans les dents, le confinement!
Comment vous est venue l’idée d’un escarpin monochrome?
Hayla a vu les chaussures sport que je créais [pour Sully & Son Co.] et m’a demandé : « Pourquoi il n’y a que les hommes qui ont droit au monochrome? Comme du rouge sur rouge ou du noir sur noir? » Alors nous avons regardé le marché et je lui ai dit : « Ma chère, tu as mis le doigt sur quelque chose! » Nous avons commencé par un seul modèle monochrome, fait de matériaux véganes et offert en 5 couleurs. Et nous avons maintenant quelques modèles dont certains déclinés en 25 couleurs. C’est une façon unique de créer des tenues entièrement assorties ou complètement contrastantes. Il n’y a pas de limite!
Pour votre part, vous préférez les tons neutres, n’est-ce pas?
Je porte du noir et des teintes plutôt neutres depuis belle lurette. J’ai toujours aimé le noir et ma première visite au Japon a redoublé ma ferveur. Je préfère aussi le noir pour la plupart de mes choses, comme ma moto, mon VUS et mon vélo, mais à la maison j’aime mieux un mélange de style rétro et d’éléments naturels, comme le béton, le bois et l’acier. On ne devient pas cool en portant du noir. Il se trouve simplement que je suis cool et que je porte du noir.
ENCORE QUELQUES MOTS
- Quelle est la première chose que vous faites le matin?
- Je regarde mes courriels, puis je me brosse les dents. Je ne déjeune pas vraiment, mais Hayla me force parfois à avaler un smoothie.
- Quelles sont vos habitudes de sommeil?
- J’essaie de dormir 6 heures, en me couchant à 3 h 30. Mais mon fils est un lève-tôt, alors je ne dors que d’un œil.
- Qu’aimez-vous faire lorsque vous avez un moment à vous?
- J’ai une moto géniale, une Triumph, que j’adore conduire et modifier. J’ai commencé à remplacer toutes les pièces argentées par des pièces noires pour lui donner un look d’enfer noir sur noir.